La fierté de mon père

Publié le par vieviablog

Longtemps mon père n'osa pas dire que je faisais des études, encore moins que j'allais être prof. Je pense qu'en partie il craignait de me porter malheur s'il en parlait. Et puis, c'était si loin de son monde à lui que cela le mettait mal à l'aise, même s'il en était aussi assez fier. Il se contentait en général (jusqu'à ce que je sois réellement prof) de dire "elle va encore à l'école".

 

Je me souviens du jour où je l'ai emmené à l'Université. A cette époque, le mot "Université" représentait un univers inconnu, un monde d'intellectuels, un monde inaccessible à une fille d'ouvrier. Je parlais peu de cette partie de mes études, de ma terreur de la littérature comparée, de la linguistique en amphi. Moi-même j'étais très surprise d'être là, d'écouter un prof brillant parler du Roi Lear et M. Matzen commenter le "triangle vocalique". 

 

Pour la première année d'études au centre de formation des profs de collège, il nous fallait valider la première année d'université, où nous suivions les cours de façon normale, en plus de quelques cours au centre de la rue de la Forêt Noire.

 

A la fin de cette première année (en 1976 donc) mon père vint me chercher à Strasbourg, où j'habitais non loin de la Place du Corbeau: rien que cela n'a pas dû être facile pour lui.

Une fois que nous eûmes chargé mes affaires, je lui demandai de faire un détour par l'Université: les résultats aux dernières unités d'études devaient y être affichés. Je connaissais parfaitement le trajet que je faisais tous les jours à pied et le pilotai donc. Il en fut fort impressionné.

 

Nous arrivâmes à l’université des Sciences Humaines, au nom si prestigieux. Là je conduisis mon père, à travers un dédale de couloirs, jusqu’au labo d’allemand où étaient affichées les listes. Je cherchai mon nom sur les feuilles : il s’y trouvait, heureusement.

 

En me retournant vers mon père, je vis qu’il pleurait. Sa fille, sa petite fille de village, sa petite fille de Lohr, avait réussi son année universitaire.

 

C’est l’un des souvenirs forts avec mon père.

 

Il n’est plus parmi nous depuis bientôt 28 ans, mais toujours présent dans les mémoires de quelques uns. Il aurait aujourd’hui 84 ans.

 


Publié dans Souvenirs

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